Leçon n°68 : Laisser sa place dans les transports en commun

La vieille à la canne, le petit papy au dentier tombant, la femme enceinte jusqu’aux dents ou l’estropié à la jambe de bois, il y a des évidences. Bien sûr, les concernant je ne doutais jamais : je ne laissais pas ma place. 

Je plaisante, je leur offrais volontiers ma place. Surtout à celle qui avait le monstre dans le bide. Elle venait déjà de gâcher sa vie en enfantant, je pouvais bien lui offrir ça, quelques secondes dans un métro bondé.

Mais parfois j’avais un doute. Vous savez, quand l’homme a des cheveux blancs, la peau plissée mais qu’il n’a pas encore le dos voûté ou quand une femme a les genoux cabossés, les dents du haut en moins mais qui pourtant a les cheveux plus soyeux que les miens. Soyez vieux ou non, mais assumez. À ne plus reconnaître les âges, j’en deviens mal à l’aise au moment de laisser ma place. 

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Arrêtez le sport, la chirurgie esthétique, les régimes, tous les trucs qui gardent votre corps comme un élastique et qui font de votre gueule une effigie d’élixir de beauté. Nous, jeunesse éternelle, nous sommes perdus. Parce que les vieux ne sont plus vraiment vieux, et les moyens vieux le sont un peu plus. Vous créez des malaises, des moments de gêne, des petits instants où l’on détourne le regard.

Je ne sais plus, quand je dois la laisser ma place. Cette place qui pourtant m’est si chère, quand après une journée épuisante de chômage, je n’ai eu que pour seule force d’aller rejoindre mes amies pour boire un verre.

Il était 19h14, ligne 11, le métro était blindé. Les visages étaient collés contre les vitres, les nez coincés dans les capuches à fausse fourrure du voisin et les mains s’agglutinaient sur la barre en fer qui elle était recouverte d’une couche épaisse d’haleines peu fraîches. Mais moi, au milieu de ce vacarme, j’étais assise. Jusqu’à ce moment gênant.

Métro République, la foule descendait, une nouvelle remontait. Je l’analysais méticuleusement ne cessant de me demander : « Mary Bridgestone, devras-tu lever ton cul ? ». Le doute m’habita lorsque je l’aperçu, elle, vieille pas vraiment vieille. Un long manteau gris doudoune dégueulasse datant des années 60 soutenu par une ceinture élastique noire. Premier signe de vieillesse. Vieille cagole en l’occurrence. Puis, je remarquais une permanente. Petits cheveux blancs bouclés qui laissaient apparaître des perles aux dorures dorées. Et pour surplomber le tout, un sac faux cuir noir qu’elle tenait du bout de ses doigts manucurés d’un rouge sang. Elle avait gagné, c’était un vieux croûton. J’allais me lever. Je poussais sur mes genoux fatigués, m’appuyais contre l’accoudoir avec difficulté, soufflais déjà rien qu’à l’idée de devoir rester debout et lui proposais, faussement aimable, mon trône de merde. 

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Elle me jeta son regard le plus méprisant, m’insulta, soulignant qu’elle ne paraissait pas si vieille et que je l’avais « dégradée » avec mon manque de savoir vivre. 

Je m’asseyais de nouveau sur cette place qui n’était plus si douce, et, fuyant cette foule qui me jugeait, je baissais le regard, tombant sur l’évidence que je n’avais pas vu : cette fausse vieille portait des escarpins. Elle n’était donc pas vieille. Non. Elle avait juste mauvais goût.

Faux vieux, vrais centenaires, fashionista pourrie ou coco bel œil, si vous voulez la place, demandez-la. 

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